Nous avons marché silencieusement jusqu'au cimetière, une fois sur place, elle m'a conduite devant la tombe où était inscrit :

«  Ana Wolf

9 mai 1986

19 décembre 2006 »

Ma tombe, donc.

J'observai la pierre tombale où étaient gravés les éléments les plus importants de mon identité. J'avais vu juste, j'avais bien été enterrée dans ce cimetière.

- Oh fait, c'est quoi votre prénom, à vous?

- Elena. Elena Richers.

- Parlez-moi de vous... Votre mari, comment ça s'est passé?

- Adam et moi avons grandis ensemble, nos mères étaient de grandes amies, et lorsqu'elles discutaient, madame Richers chargeait son unique fils de s'occuper de moi. A l'époque, j'étais encore un bambin de quatre ans et demi, lui en avait dix, et, au début, il aurait préféré aller jouer dehors avec ses copains plutôt que d'avoir comme mission de distraire une petite fille avec des poupées de porcelaine.

Mais plus le temps passait, plus nous sommes devenus proches, l'âge n'était plus un fardeau, j'avais quinze ans, il en avait vingt.

Nous avons caché pendant longtemps notre relation à nos parents, nous savions qu'ils s'opposeraient. Lorsque j'eus enfin fêtée mon dix-huitième anniversaire, nous avons décidé de devenir mari et femme. Certes, nos parents étaient outrés et s'opposaient, à cause de la différence d'âge, mais nous n'en avions rien à faire. Quelques jours plus tard, il a était appelé à lutter à la guerre. Sans le savoir, c'était la dernière fois que je le voyais.

 - Vous... Vous m'avez parlé? Demandai-je sceptique, et commençant à croire que j'étais victime d'hallucinations auditives.

- Oui, me sourit la femme.

- Mais... Comment est-ce... Possible?

- On m'a confié la mission de veiller sur vous, sur votre intégration ici?

- Ici? Mais c'est où, ici? Et pourquoi est-ce que je ne me souviens de rien, pourquoi est-ce que si je vous touche, là, tout de suite, maintenant, une décharge électrique sidère m'assaillità la seconde?

Elle commença à avancer sa main et je ne pus m'empêcher un mouvement de recul.

- Ne me touchez pas! Hurlai-je presque.

- N'ai crainte.

Elle m'observa, comme pour attendre ma permission. Je ne savais pas quoi en penser. Pourtant, j'hochai la tête, et sa main entra en contact avec ma peau blafarde.

J'attendais une douleur, la craignant. J'attendais le hurlement inconscient sortant des entrailles de ma gorge qui accompagnait cette sensation bizarre. Mais rien ne vînt. Pas de douleur, pas de hurlement. Juste une autre dizaine de questions tranchantes dans ma tête. Son bras gauche retomba le long de son corps, reprenant sa position initiale.

- Comment est-ce possible? Me répétai-je, pourquoi est-ce que vous, vous pouvez me voir, et que d'autres non?

 - Je n'ai pas le droit de te révéler quoi que ce soit sur ton passé, tout ce que je peux te dire, c'est qu'avant-hier, le 19 décembre 2006, tu t'es suicidée dans la salle de bain de ton appartement. Les raisons, tu devras les trouver seule. S'il y a certaines personnes qui peuvent te voir, comme moi par exemple, et que d'autres non, c'est parce que nous sommes toutes les deux mortes.

Il existe des mondes parallèles pour chaques types de morts. Nous, nous sommes dans celui des suicidaires, chaques personnes s'étant suicidée à droit à l'enfer numéro 8, destiné à établir une sentence pour ces gens aillant refusés la vie.

Mettre fin soi-même à ses jours n'est pas une chose acceptée, raison pour laquelle nous ne sommes pas au paradis à ce jour, il nous est interdit, à la place, nous devons vivre éternellement ici.

Par exemple, les morts à la guerre vivront dans le monde parallèle numéro 47, un monde continuellement en guerre. Bien sûr, les bons guerriers, ceux qui ont luttés pour le bien, sont dans l'unique paradis existant. Un monde que nous, résident des enfers, rêvons d'atteindre. Mais les enfants du diable sont là, ils guettent nos moindres faits et gestes, il est impossible de les combattre et d'avoir accès au paradis.

Je ne relevai pas pendant plusieurs minutes, choquée et encore plus perdue par toutes ces révélations.  C'était donc pour ça... Je ne pouvais pas toucher un vivant sans recevoir une décharge électrique... Le miroir ne reflétant pas mon reflet; mon absence d'émotions, de sentiments ; mon attirance pour les cimetières... Tout s'expliquait.

- Alors, vous vous êtes... Suicidée?

- Il y a un an de cela, oui. Je pensais rejoindre mon mari décédé à la guerre. J'étais loin d'imaginer me retrouver ici. Seule.

Une silhouette, au loin, m’intrigua, et je décidai d’approcher. C’était une femme, et elle observait le ferry qui traçait silencieusement son chemin sur l’eau.

J’observai les vagues qu’engendrait le ferry s’écrasaient contre les parois du front de mer, la fumée noire dégagée par les cheminées pour s’évaporer dans le ciel bleu.

Soudain, un mouvement, presque imperceptible. Sa tête pivota de quelques millimètres dans ma direction, ses yeux me toisèrent l'espace d'un instant, et elle reprit sa position initiale, détaillant l'engin flottant.

Puis, dans un son inattendu :

- Bonjour.